Confinement et deuil : même combat ?
Ou les stades du deuil, appliqués au confinement
Récemment, le titre d'un article publié par la Harvard Business Review a retenu mon attention : le confinement serait une sorte de deuil. (“That discomfort you're feeling is grief”).
| That discomfort you're feeling is Grief : le confinement est un deuil |
Le journaliste y rencontrait un grand ponte spécialiste du Deuil, pour évoquer avec lui les similitudes entre ce processus, et ce que nous vivons en confinement. Pour rappel, il est communément admis que la personne en deuil passe par les 5 étapes suivantes :
Déni
Colère
Marchandage
Tristesse
Acceptation
Ce qui est certain, c'est que la comparaison deuil/confinement me paraît très pertinente.
Petite illustration : toute ressemblance avec une personne réelle n'est pas vraiment fortuite..
Le Déni
“Nan mais
attends-là, jamais ils nous empêcheront de sortir ! Le COVID, c'est
que pour les chinois, et éventuellement les autres pays lointains,
ou les pauvres, pas nous, avec nos supers hôpitaux et nos
laboratoires pharmaceutiques...Allez-là, encore la théorie du
complot et de ces cinglés de Collapsos. Et puis moi j'ai une super
hygiène de vie, je tombe jamais malade...T'inquiète, en 10 jours
c'est passé.”
La Colère
“Nan mais what the
fuck là ? Confiné ? Avec des attestations pour sortir ? Plus de
bar, plus de restau, plus de shopping ?? Peux plus aller bosser ? Non
mais c'est quoi ce BORDEL ? QUI décide de ce genre de conneries ? Et
qu'ils aillent se faire f..... ces flics à deux balles, je fais CE
QUE JE VEUX MOI D'ABORD !!! C'EST QUI CE CON DE PANGOLIN ?????”.
Le
Marchandage
“Allez
ok, je me lave les mains au gel hydro en rentrant à la maison. Et je
respecte la distance d'un mètre à la boulangerie. Et d'accord, je
veux bien limiter mes déplacements à un rayon d'1km autour de la
maison. Mais du coup, ça va passer vite hein ? Hein ? Nan mais en
vrai, Manu, Edouard ? On arrête maintenant, ça a assez duré...
La Tristesse
“J'en ai
maaaaaaaaaaarrrrrrreeeeeeeuuuuuuuhhhhh, je veux sortir ; mes amis me
manquent ; ma famille me manque ; mon patron me manque ; Cyril, mon
collègue trop con me manque ; je veux ALLER A LA FNAC !! Et prendre
ma voiture. Et aller à la mer. Et manger un Kebab. JE VEUX SORTIR
D'ICI”.
L'Acceptation
“Bon, ben au final,
le confinement, on s'y fait : petite nuit de 15h, lever 12h30,
préparation d'une raclette maison, recette retrouvée de Mamie
Maryse que j'avais jamais tentée, puis sieste, rediffusion de
Derrick, masque à cheveux, tentative d'exercice physique, sortir
pour acheter du pain, et lecture du livre que j'ai eu à Noël y'a
deux ans, suivi de l'apéro virtuel avec les potes.En plus on se fend
la gueule avec les voisins alors qu'on s'était jamais adressé la
parole en 5 ans. On va avoir du mal à retourner au taf quand même”
Et vous, ça vous parle ?
Si vous souhaitez en savoir plus, lisez l'entretien qui suit avec David
KESSLER, expert mondial sur la question du deuil et du traumatisme. J'ai traduit l'intégralité de l'article,
que vous pourrez retrouver plus loin si vous êtes intéressés. Malgré la
pertinence de la comparaison, le reste du papier, et surtout les
conseils "new age" un peu bateaux sur la gestion de l'anxiété en temps
de confinement m'ont laissée quelque-peu désappointée.
A vous de juger !
HBR : dans le chaos
émotionnel que chacun d'entre-nous vit en ce moment, peut-on dire
que certains aspects relève d'un deuil ?
Oui,
tout à fait. Un deuil à plusieurs titres : nous avons le sentiment
que le monde vient de changer, et c'est le cas ! Même si nous avons
conscience que la situation est temporaire, ce n'est pas vraiment ce
que nous ressentons, et nous savons que le futur sera à jamais
différent. Un peu comme le fait de prendre l'avion et les contrôles
à l'aéroport ont été brutalement transformés par le 11
Septembre, aujourd'hui le monde vient de changer à nouveau, et
peut-être pour toujours.
Et
puis il y a l'anormalité de notre quotidien bouleversé ; la peur
des répercussions économiques ; le manque de relations sociales.
Tout cela vient nous frapper en plein visage, et oui, nous sommes en
deuil. Et pour une fois, il s'agit d'un deuil collectif, auquel nous
ne sommes pas du tout habitué.
HBR
: Vous dites que nous sommes en train de faire plusieurs deuils à la
fois ?
Oui,
et là il s'agit plus d'un “deuil anticipé” : celui que nous
ressentons en général quand le futur est menaçant et incertain,
quand nous envisageons la mort d'un proche par exemple, ou après un
diagnostique médical très grave. Dans le cas présent, notre
cerveau primitif sait qu'il y a une menace dans l'air, mais elle
n'est pas vraiment matérialisée ; il sait juste que quelque-chose
de mauvais couve. Et cela nuit fortement à notre sécurité
intérieure. Et pas uniquement à l'échelle individuelle, mais aussi
au plan de notre sécurité collective. Et je ne pense pas que cela
soit jamais arrivé à l'échelle de l'Humanité entière : c'est
arrivé pour des groupes, mais pas à cette échelle. Nous faisons
aussi le deuil de futurs possibles. Donc notre deuil est individuel
et collectif.
HBR
: Que pouvons-nous faire à titre individuel pour gérer ces deuils ?
Pour
commencer, on peut s'intéresser aux stades du deuil : mais quand je
dis stades, il est important de rappeler que ce n'est pas forcément
linéaire, et qu'ils peuvent se manifester dans un ordre différent,
voire simultanément. Ce n'est pas un programme strict, mais une
structure de base sur laquelle s'appuyer pour comprendre ce mécanisme
méconnu :
- D'abord, le déni, que l'on utilise beaucoup au départ : je/on ne tombera pas malade, ça va passer hyper vite, on est pas concernés, on est en super forme etc...
- Ensuite la colère : on m'oblige à rester chez moi et abandonner toutes mes activités ! Ras le bol !!
- Puis le marchandage : ok, donc je vais me confiner 2 semaines, mais ensuite tout rentre dans l'ordre hein ?
- La tristesse : j'en ai marre, mes amis, ma famille me manquent, mes activités, ma vie aussi. Et je n'ai aucune idée de quand tout ceci va finir.
- Et finalement, l'acceptation : bon ok, de toute façon c'est en train d'arriver, autant que je trouve la meilleure manière de traverser tout ça.
C'est
évidemment lors de l'acceptation, que l'on retrouve un sentiment de
contrôle sur sa vie : ok
donc je vais profiter des heures autorisées pour prendre de vrais
bols d'air, aller voir si ma voisine n'a pas besoin d'aide,
développer mes talents culinaires , faire du sport pour me sentir
mieux etc...
HBR
: le processus de deuil implique souvent aussi de l'inconfort
physique et émotionnel, des pensées obsessionnelles … Quelles
sont les techniques qui existent pour gérer cet inconfort, le rendre
moins intense ?
Si l'on en revient au “deuil
d'anticipation”, c'est en réalité de l'anxiété dans sa version
pathologique, c'est cela que vous décrivez : quand notre esprit
commence à nous montrer des images, tels que nos parents tombant
malades, notre entreprise en difficultés économiques, le
gouvernement s'effondrant …
Nous imaginons les pires
scènarios, en fait, c'est un réflexe de protection de la part de
notre esprit. Il essaye de nous préparer au pire. Cela ne servira
donc à rien d'essayer de repousser ou d'ignorer ces images, cela
peut même devenir douloureux, et malsain. Mais il faut essayer de
trouver une forme d'équilibre dans les pensées, peut-être en
rationnalisant un peu ces images, qui semblent spontanées : “je
sais que tout le monde ne tombe pas malade, et que même la majorité
des malades s'en sortent très bien. Economiquement, nous avons connu
d'autres crises, et nous en sommes sortis”.
Donc si tout n'est clairement pas tout rose, tout n'est pas non plus
complètement noir. On peut essayer de faire venir à l'esprit des
images positives, pour contrer les négatives. Imaginer un futur
agréable, où la vie aura repris son cours, et on aura retrouver une
vie sociale, professionnelle, sportive etc...
Le deuil par anticipation, c'est
l'esprit qui se projète dans un futur en imaginant le pire. Pour se
calmer, il faut revenir
dans le Présent. Cela
est familier aux personnes qui pratiquent la méditation et la
pleine-conscience. Et ça peut être aussi facile et banal que se
concentrer sur 5 objets présents dans la pièce : “je vois un
vase, un tapis, un fauteuil, un ordinateur, un cadre avec des photos
de famille”. Et respirer : tout cela peut vous permettre de
réaliser que vous êtes encore dans le présent, que rien de ce que
votre esprit peut imaginer n'est en train de se produire, que vous
êtes en sécurité. Revenez aussi à vos sensations
physiques : sur quoi
reposent vos mains, quelles matières perçoivent-elles ? Y a-t-il
une odeur spécifique là où vous vous trouvez ? Des sons ? Ce genre
de techniques très simples aident à alléger l'anxiété et la
douleur.
Il est aussi plus intéressant de
se focaliser sur ce que vous pouvez maîtriser, que sur ce qui vous
échappe : je ne peux pas obliger mon voisin à baisser la musique,
mais je peux acheter des boules Quiès. Je ne peux pas obliger la
personne dans la queue à respecter la limite de 1 mètre, mais je
peux changer de place etc... Je ne peux pas empêcher que le virus
soit dans l'air, mais je peux porter un masque (si cela vous rassure)
etc...
Et enfin, c'est le moment de se
montrer plein de compassion
pour soi-même, et pour les autres : chacun gère le stress de
manière différente, et certains comportements peuvent vous étonner,
vous énervez etc... L'autre jour l'un de mes collègues s'est montré
particulièrement discourtois envers moi, et je me suis dit “ce
n'est pas son comportement habituel, il doit être très stressé par
la situation”. Adopter de la patience envers les autres et
soi-même, se rappeler comment les gens sont d'habitude, par rapport
à comment ils sont en ce moment, est également un bon exercice.





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