#METOO : Simone de Beauvoir était-elle une prédatrice sexuelle ?

Sartre et Beauvoir à St Germain des Prés, années 50

 

          Dans les années quarante/cinquante, Simone de Beauvoir enseignait la philosophie dans des lycées parisiens. Elle a raconté y avoir noué des relations amoureuses avec certaines de ses élèves, pour la plupart âgées de 15 à 17 ans. l'élément aggravant pour l'auteur, c'est le livre "mémoires d'une jeune fille dérangée" de Bianca Lamblin, l'une des jeunes femmes en question : elle y décrit ses relations avec Beauvoir, qui l'aurait également poussée dans les bras de Sartre. Sous couvert d'amour, les deux partenaires auraient profité sexuellement de la jeune femme, avant de s'en débarrasser du jour au lendemain, la laissant dévastée, d'une blessure qu'elle portera à vie. Ces détails ont été confirmés dans la correspondance des deux amants, et aucun des philosophes n'a renié ces multiples relations, qu'ils évoquent régulièrement dans leurs écrits. Simone de Beauvoir a même été sanctionnée par l'un des lycée où elle enseignait, suite à une plainte de parents. 

A la lumière de ces révélations, le centre Simone de Beauvoir pour les études féministes de l'université Concordia au Québec, a essuyé une campagne visant à faire modifier son nom : Simone de Beauvoir serait une criminelle avérée, une hypocrite dans sa défense de la cause féminine, dont le nom n'aurait pas sa place au fronton d'une université.

Simone de Beauvoir était-elle une prédatrice sexuelle ? Doit-on à ce titre, débaptiser les lieux qui portent son nom, comme par exemple l'espace de défense et de promotion des droits des femmes à Nantes ? 

Page d'accueil du site de l'espace SdB à Nantes

                   

LEGALITE DES RELATIONS SEXUELLES PROF-ELEVE EN 2021

"Prédatrice sexuelle"? Le mot est fort. Mais aujourd'hui en France, les relations sexuelles entre professeur et élève de moins de 18 ans sont en principe illégales : si à partir de 15 ans (la majorité sexuelle), un adolescent peut avoir des relations sexuelles consenties avec un majeur, il existe une exception quand le majeur est "en position d'autorité", comme c'est le cas des entraîneurs sportifs, des ascendants familiaux...et des professeurs. Ce qui est pris en compte ici, c'est l'influence psychologique que peut exercer une personne détenant de l'autorité, sur un mineur ; le consentement de ce dernier ne peut donc être donné librement dans un tel contexte.

Ainsi, Simone de Beauvoir pourrait être aujourd'hui poursuivie pour "viol commis par personne abusant de l'autorité conférée par ses fonctions", ou pour "atteinte sexuelle sur mineur de plus de 15 ans par personne ayant autorité sur la victime", deux infractions punissables par la prison . Qu'en était-il à l'époque ? 

LE CONTEXTE SOCIAL ET JURIDIQUE DES FAITS  

En quoi évoquer le contexte est-il important pour juger des faits ? D'abord parce que le code pénal a évolué : à l'époque, première moitié du XXème, la législation ne mentionnait l'"abus d'autorité" que dans le cadre de relations familiales, et le viol ne pouvait être commis que par un homme. Ainsi ses relations homosexuelles avec des jeunes filles ayant atteint l'âge de la majorité sexuelle ne tombaient ni sous le coup de la législation sur le viol, ni sous celui d'une atteinte sexuelle commise par une personne d'autorité.

En outre, nombreux sont les auteurs de l'époque à clamer haut et fort leur goût pour la "chair fraiche", et il ne s'agit pas toujours de jeunes filles en fleurs, mais souvent de très jeunes garçons (GIDE, Montherland, Wilde et j'en passe.)

Les artistes sont considérés comme anti-conventionnels, et ces relations sont regardées comme des aventures d'artistes, plus prônes à briser les conventions.

Cela ne signifie pas qu'elles sont plus acceptées pour autant : ainsi, Simone est renvoyée d'un lycée parce que des parents se sont plaint. Mais on a tendance à ne pas en parler, voire à sourire des "préférences particulières" et autres "aventures" de ces génies intellectuels.

Quant à Sartre, qui profite des proies chassées par sa compagne, il n'a aucune raison d'être inquiété : elles ont plus de 15 ans, sont consentantes, et il n'a pas de relation directe d'autorité sur elles. Bien sûr au plan moral, on peut estimer que profiter de l'admiration et de la naïveté de ces jeunes femmes pour coucher avec elles est condamnable, mais d'autres y verront du génie...

LA LIBERTE DE JUGER 

En l'absence de condamnation pénale, voire d'illégalité de ces comportements, doivent-ils être jugés à l'aune de nos principes actuels, voire du mouvement METOO ? Et si c'est le cas, est-il possible de séparer l'auteur de son œuvre, et de continuer à apprécier la lecture du 2ème Sexe ? 

C'est ici que commence la liberté du Public : choisir de ne pas séparer la femme de son œuvre, et considérer que ses actes personnels entachent sa postérité, lui ôtant par exemple toute légitimité dans la défense des droits de la Femme. 

Ou on peut au contraire choisir - c'est mon cas - d'une part de ne pas se prononcer sur des évènements anciens, dont on ne connaît pas tous les détails, et dont les protagonistes ne sont plus là pour se défendre ; choisir aussi de distinguer le mérite intellectuel d'une œuvre,  de la vie privée de son auteur, considérant ce dernière comme un être humain faillible.

A ce stade, chacun fixe sa limite : pour moi qui adorais André GIDE, prix Nobel de Littérature, connaître son "goût pour l'éveil sexuel des petits garçons" m'a fait froid dans le dos. Je continuerai toutefois de lire ses œuvres, mais peut-être avec un autre œil, en n'oubliant pas toutefois les différences de contexte historique et légal.

Et vous, qu'en pensez-vous ? Peut-on distinguer la personne de son œuvre ? Des comportements moraux voire illégaux doivent-ils jeter l'opprobre sur une carrière publique ? 

Woody ne sait quoi en penser ...!!